

KAM UNIVERSE
La lecture : plaisir ou surconsommation ?

L'idée de cet article m'est venue alors que je relisais celui sur la communauté littéraire qui me blase (article que je vous invite grandement à lire).
Dans ce dernier, je parlais à un moment du phénomène de surconsommation des livres, et je me suis dit qu'il serait intéressant de m'y attarder plus en profondeur. Déjà parce que c'est un sujet très actuel, mais aussi parce qu'il y a pas mal de choses à dire dessus. Notamment le fait qu'on pourrait se demander si les gens lisent vraiment par plaisir, ou si c'est parce que tout autour d'eux les pousse à enchaîner les livres.
Avant toute chose, qu'est-ce que la surconsommation ?
D'une manière générale, c'est tout simplement lorsqu'on consomme bien plus que nécessaire. Dans le domaine littéraire, on parle de surconsommation lorsqu'on achète beaucoup de livres (en physique, e-book ou audiobook) de manière compulsive, mais qu'on ne les lit pas forcément tous, finalement.
En soi, et dit comme ça, ce n'est pas quelque chose de foncièrement grave. Après tout, chacun fait ce qu'il veut avec son porte-feuille, et chacun lit ce qu'il veut, quand il veut et comme il le veut. Mais lorsqu'on creuse un peu et qu'on prend du recul, on constate que cette surconsommation est loin d'être sans conséquences sur le marché du livre ou sur les auteurices et les lecteurices en général. Et les conséquences en question ne sont pas toujours bénéfiques.
Avant d'entrer dans les détails, je tiens à préciser trois choses :
- Pour cet article, je me concentre sur les romans. Mais c'est un phénomène qui peut s'observer avec les mangas et les BD, entre autres. C'est assez universel. Mais je trouve que c'est plus visible avec les romans.
- Même si mon article se veut le plus objectif que possible, je ne suis pas neutre sur ce sujet. Et ça peut se ressentir sur certains de mes arguments. Considérez donc cet article comme mon avis sur la question, et une porte ouverte au débat.
- Mon but ici n'est pas de faire culpabiliser les gens au sujet de leurs modes de consommation. Comme dit plus haut, chacun fait ce qu'il veut. Mon objectif est d'apporter une certaine réflexion, et de vous inviter à réfléchir sur ce phénomène également.
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Les choses étant mises au clair, entrons dans le vif du sujet.
D'où vient cette surconsommation ? A-t-elle toujours existé ? Quelles en sont les causes ?
Pour être honnête, j'ignore si la surconsommation des livres a toujours existé. Peut-être que c'était le cas, mais que ça ne se ressentait pas autant. Je pense plutôt que l'apparition des réseaux sociaux y sont pour quelque chose. Je dirai même que c'est, selon moi, la cause principale.
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Grâce à eux, il est devenu beaucoup plus facile de discuter avec d'autres passionnés de livres, que ce soit via Instagram, Tiktok, Youtube, Facebook et j'en passe. Mais paradoxalement, cette possibilité d'échanges, et le fait de pouvoir exposer ses livres et de partager ses avis peut amener son lot "d'inconvénients". (Notez les guillemets)
Parmi eux, je peux citer le marketing intensif autour de certaines oeuvres de la part de certaines maisons d'édition (ou même de certains auteurs et lecteurs), qui génère une hype excessive autour de ces livres. Vu que ces livres sont hypés, beaucoup de lecteurices auront envie de l'acheter, parfois même sans rien savoir des livres en question, juste parce qu'on en parle beaucoup. En fait, ce marketing engendre des tendances qu'une grande partie des personnes présentes sur les RS suit sans se poser de question. En gros, les gens sélectionnent leurs lectures, pas forcément parce qu'ils ont un profond désir de le lire, mais juste pour suivre le mouvement de masse en lisant "le livre à la mode", ou parce qu'il en a entendu que du bien de la part de ses copains/copines de lecture.
Et sachant que plusieurs livres sont surhypés en même temps durant une courte période, les réseaux sociaux poussent les gens à lire de plus en plus, et de plus en plus vite, afin qu'ils ne ratent pas une "sortie majeure" et qu'ils restent dans la tendance du moment.
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D'ailleurs, une attention particulière est apportée sur les couvertures et l'objet livre en général, avec les reliés à jaspage, par exemple. Tout est fait pour inciter les gens à acheter les livres, que ce soit pour les lire, pour faire joli dans leurs bibliothèques personnelles, ou les deux à la fois. Certaines personnes se retrouvent parfois avec plusieurs exemplaires d'un même livre (généralement un broché et un relié avec jaspage).
Cette incitation à la surconsommation n'est pas sans conséquences, comme je le disais au début. À force d'acheter des livres et de faire grossir leurs piles à lire, les lecteurs s'imposent une pression en lisant de manière frénétique et superficielle, privilégiant (parfois sans même s'en rendre compte) la quantité à la qualité, et privilégiant souvent la forme (l'objet livre) au fond (le contenu du livre). C'est d'autant plus voyant lorsqu'on voit, sur les réseaux sociaux, plusieurs lecteurs exposer leur nombre de livres lus en bilan sur les réseaux. Comme s'il y a avait une quelconque compétition où la personne lisant le plus de livre gagnerait une récompense !
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Malheureux effet qui s'en découle : les lecteurs se comparent entre eux (ouais, il n'y a pas que les auteurs à ce niveau) et ceux n'ayant lu qu'une dizaine de livres durant l'année (ce qui est franchement pas mal de mon point de vue, surtout quand on a un emploi du temps chargé à côté) culpabilisent en se disant qu'ils n'ont pas lu assez ou qu'ils sont des "mauvais lecteurs". (J'ai déjà vu des cas où des gens, ayant une centaine de livres par an à leur compteur, qualifiant ceux ne lisant pas beaucoup de faux lecteurs. Pour vous dire...)
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Autre conséquence, niveau matériel, c'est que certaines personnes n'ont pas assez de place chez elles pour stocker tous les livres qu'elles achètent. Résultat : elles sont contraintes de vendre leurs livres, et parmi eux figurent parfois des oeuvres qu'elles n'ont même pas lues ! (Et qui aurait pu être des coeurs de coeurs pour elles...)
Les lecteurs (ou du moins une grande partie), par rapport aux hypes générées et aux mouvements de masse, veulent toujours lire les nouveautés sans se restreindre. Par rapport à cela, les auteurs se mettent une pression de dingue pour publier plus d'ouvrages, et plus vite, sachant que la "durée de vie" d'un livre actuellement, souvent, c'est autour de 2 ou 3 mois. Et encore, ça, c'est quand le livre se vend bien (Généralement, ceux suivant les genres et les tropes tendances augmentent drastiquement leurs chances). Une fois cette période passée, on oublie et on passe à autre chose, à un autre livre.
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Frustrant quand on est un auteur ayant passé plusieurs mois voire années à rédiger un livre, hein ? :)
Mais la pire conséquence selon moi, qui découle justement de tout ceci, c'est qu'à force de nouveautés, on arrive à une saturation du marché. Car beaucoup de nouveautés, surtout lorsqu'elles reprennent les mêmes tropes et motifs narratifs, entraînent beaucoup d'histoires qui se font mutuellement de l'ombre et qui souvent, se ressemblent, en particulier dans certains genres. (D'ailleurs, je dis ça, mais c'est aussi parce que le marché est saturé que la durée de vie d'un livre en ce moment n'est pas bien longue !)
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Ce n'est donc pas si étonnant de voir les auteurs d'aujourd'hui résumer leurs oeuvres avec une poignée de tropes attirants tels que "enemies to lovers", "one bed trope", "strong independant female MC" et d'autres, plutôt que de s'attarder sur les personnage, l'univers, l'ambiance et d'autres choses plus parlantes. (Parce que je suis désolée, mais ce n'est pas parce qu'un livre est vendu sur le trope enemies to lovers, par exemple, que celui-ci sera bien traité dans le bouquin ou qu'il rendra automatiquement celui-ci plus intéressant ! À mes yeux, c'est souvent l'inverse, même...)
Après, est-ce que tout est sombre dans la surconsommation des livres ? Est-ce si dramatique que ce que l'on pourrait penser ? À mes yeux, et suite à tout ce que je viens de raconter, je dirais que c'est un phénomène préoccupant qui mérite d'être discuté. La preuve : je tape ces lignes que vous lisez. Mais avec le recul, est-ce que tous les lecteurs et tous les auteurs culpabilisent par rapport à ça ? Est-ce qu'il n'y a pas une raison pour laquelle des lectures s'enchaînent vite chez beaucoup, par exemple ?
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Si je pose la question, c'est que la réponse est "non, pas forcément". Pourquoi ? Pour une raison toute bête : chaque lecteur est différent !
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Les lecteurs, et même les auteurs, ont des emplois du temps variables, des rythmes variables, des goûts variables, des préférences variables. Certains lisent ou écrivent très vite, d'autres pas du tout ! Et puis, on pourrait se demander si l'enchaînement des livres chez certains ne dépendent pas desdits livres eux-mêmes et de leurs longueurs. Il n'est pas impossible que beaucoup préfèrent ou privilégient les romans plus courts et/ou les one-shot, car c'est plus facile à lire lorsqu'ils ont un emploi du temps chargé (ce qui pourrait expliquer le léger "déclin" des longues sagas. Peut-être que les lecteurs aujourd'hui n'ont pas le temps de s'y investir, contrairement à il y a quelques années.)
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Il est aussi possible que les lectures s'enchaînent vite chez certains parce qu'ils ne sont pas difficiles et accrochent très facilement à une histoire au point de les lire en quelques heures, là où d'autres y mettrons plusieurs jours, semaines ou mois.
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Je pense que la surconsommation des livres ne touche pas forcément tout le monde. En tout cas, pas à différents degrés. Certains seront dérangés voire frustrés, pendant que d'autres trouveront en cette surconsommation une motivation supplémentaire pour ajouter un peu de piment à leur passion/loisir. Parfois en se challengeant.
Maintenant, concentrons-nous sur la partie des lecteurs qui est frustrée à cause de cette surconsommation ambiante, qui la fait culpabiliser de ne pas lire ou écrire assez, et qui du coup perd un peu le plaisir qu'elle avait autrefois dans ces activités. Quelles solutions pourrait-on leur apporter pour passer outre ?
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Je pense qu'il en existe beaucoup. Mais celle qui me vient à l'esprit là maintenant, serait de consommer moins mais mieux. Au lieu de suivre les hypes, les recommandations ou autres, on choisit ses lectures en fonction de ce qu'on a envie de lire et de ce qu'on aime vraiment. En gros, on priorise la qualité de lecture à la quantité.
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Simple, dit comme ça ! Mais lorsqu'on est sur les réseaux sociaux et qu'on voit son entourage parler des mêmes bouquins, ou enchaîner les lectures à une vitesse grand V, ça peut s'avérer plus compliqué qu'on ne le pense. C'est pour cette raison que se détacher de ces mêmes réseaux sociaux est nécessaire. Il n'y a aucun mal à avoir un rythme de lecture plus lent que les autres, et à lire moins.
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Au contraire : je suis d'avis qu'en prenant son temps, on savoure mieux sa lecture, et le livre lu nous marquera encore plus si on l'apprécie. Bien sûr, je ne dis pas qu'on ne peut pas savourer sa lecture en lisant vite, loin de là. Mais les lecteurs ne sont pas tous pareils. Qu'on lise vite ou lentement, l'essentiel est d'y prendre du plaisir !
Mais si vous êtes dans la team "lecteur lent", sachez que vous pouvez aussi prendre le temps de réfléchir à ce que vous lisez, en rédigeant une critique, par exemple. Cette méthode pourrait enrichir encore plus l'expérience de lecture et vous permettre de mieux retenir l'histoire.
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Autre solution, et celle-ci est d'ordre financière : si vous culpabilisez de ne pas avoir un budget suffisamment gros pour acheter tous les livres que vous souhaitez-lire, ou que vous n'avez pas suffisamment d'espace chez vous pour les ranger, vous pouvez toujours les emprunter dans une bibliothèque, une médiathèque ou auprès d'une connaissance. Il existe aussi l'option des e-books et des audiobooks, souvent moins chers et moins encombrants que les livres physiques.
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Dans tous les cas, et c'est valable aussi pour les lecteurs frénétiques : il faut accepter qu'il est impossible d'absolument tout lire ! Et aussi accepter le fait que ce n'est pas parce que vous avez adoré ou détesté un livre, que ce sera pareil pour tous vos amis lecteurs. Et vice-versa : ce n'est pas parce que vos amis lecteurs adorent ou n'apprécient pas un livre en particulier que celui-ci ne vous plaira pas. Fiez-vous à vous-même !
Personnellement (pour vous partager un peu mon expérience personnelle), c'est un peu ce que je fais. Soit je lis par envie si je tombe sur un roman qui m'intéresse pour plusieurs raisons, soit je lis par curiosité, par exemple lorsque je tombe sur un roman que je ne vais pas spécialement apprécier, mais dont je souhaite comprendre la hype. Je ne suis pas une lectrice qui lit vite, ni quelqu'un qui enchaîne les lectures. Déjà parce que je n'ai pas forcément le temps, mais aussi et surtout parce que j'aime prendre mon temps.
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D'ailleurs, funfact à mon sujet : je lis souvent (pas toujours) plus vite les histoires que je n'aime pas que les histoire que j'aime. Vous savez pourquoi ? Quand je n'accroche pas à une histoire, sauf si exception (ça peut-être de la curiosité vis-à-vis d'une intrigue particulière ou d'un personnage précis), soit j'abandonne, soit je lis en diagonale. Mais concernant les romans que j'aime, je prends le temps de m'imprégner de l'univers et des personnages pour mieux savourer les intrigues dans lesquelles ils sont impliqués (et c'est aussi valable pour les histoires que j'écris. C'est pour ça que je suis également une autrice qui écrit lentement). En gros, je privilégie la qualité et le partage d'expérience à la quantité. Parce que j'écris également (pas systématiquement) des reviews sur les romans que je lis. Ça me permet d'aiguiser mon esprit critique, et de m'enrichir en tant qu'autrice en comprenant ce que je souhaite retrouver ou non dans mes histoires.
Je pense avoir fait le tour du sujet. Il n'est pas impossible que j'ai omis quelques trucs, mais je pense que je vais conclure.
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Consommez vos livres comme vous le voulez ! Mais il est inutile de vous comparer les uns les autres à ce niveau car vous n'avez justement pas les mêmes méthodes de consommation. L'essentiel est de prendre du plaisir dans vos lectures et vos écritures. Que vous soyez rapide ou lent, on s'en fout ! Que vous lisiez 200 livres ou 5 livres à l'année, on s'en fout ! Que vous écriviez 1 roman à l'année pendant que d'autres en écrivent 10 durant la même période, on s'en fout aussi ! À chacun son rythme, à chacun sa méthode, à chacun sa vision de la consommation des romans.
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Cela étant dit, ça ne nous dispense pas pour autant de prendre du recul sur la surconsommation actuelle des livres et sur ses conséquences qui peuvent être néfastes, notamment sur le marché du livre en général. Peut-être qu'en prenant le temps d'y réfléchir et d'en discuter, on peut faire évoluer les mentalités et bouger les choses !
C'est tout pour moi ! J'espère que cet article vous a plus ! N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez d'un tel sujet ! :)